Le Comité
Chimères
Résidence du 1 au 7 mars 2021 et du 3 au 8 juillet 2022
Y a des moments dans l’histoire où les morts sont privés de rituels
Y en a qui racontent que c’est comme ça que naissent les fantômes
Comme la Llorona, née lors de la colonisation du Mexique
La Llorona ressemble étrangement aux ptérodactyles
Y en a qui racontent qu’ils vivent toujours
Comme Serge Lewuillon, mort au cours de l’année 2020
Nous avons hérité de tous ses écrits
CHIMÈRES retrace l’histoire d’une enquête dont le point de départ est la vie de Serge Lewuillon.
À partir de documents d’archives, trois comédiennes explorent les récits potentiels d’une vie. Ils se télescopent avec ceux de la grande histoire, nous laissant dans le doute de ce qu’il faut ou non croire.
CHIMÈRES est une célébration des liens que nous entretenons avec nos morts, des chemins qu’ils nous invitent à explorer, des mémoires qu’ils font resurgir.
On y parle de nos fantômes dans leurs dimensions intimes et collectives voire politiques.
Note d’intention du spectacle :
À l’origine de notre projet, il y a l’enquête qu’a menée un biologiste belge passionné de zoologie : Serge Lewuillon. Dans les années septante, alors qu’il n’a que 28 ans, il entend parler d’une zone reculée au Mexique qui abriterait une faune et une flore exceptionnelles. Il se dit que c’est le moment ou jamais d’aller observer et répertorier toutes ces espèces qui peut-être bientôt auront disparu. C’est ainsi qu’il se retrouve dans la région de la Sierra Madre, où il entend parler d’un grand oiseau nocturne qui n’aurait encore jamais été capturé ni répertorié par les autorités scientifiques. Alors il creuse cette piste. Il recueille de nombreux témoignages des habitants aux alentours concernant l’animal, qu’il recoupe ensuite afin d’en dresser un portrait zoologique. Contre toute attente, les caractéristiques physiques rapportées par les témoins correspondent aux descriptions d’un ptérodactyle, ce reptile volant datant de l’ère du jurassique. Serge Lewuillon n’en revient pas : aurait-il fait une découverte extraordinaire ? Serait-il possible qu’il existe à ce jour des ptérodactyles vivants au Mexique ?
Cette question devient l’objet de son enquête et transforme radicalement sa vie. Poursuivant cette piste, il se retrouve à voyager à travers tout le pays, organise des expéditions avec le peu de moyens dont il dispose, fouille des grottes, installe des pièges et des caméras infra-rouge, et rencontre tout un tas de gens. Il considère leurs témoignages comme autant d’ethno-savoirs, une des ressources principales de sa recherche. Au fil de ces rencontres, on lui parle à plusieurs reprises d’une autre créature, nocturne elle aussi, volante elle aussi, et qui se déplacerait principalement le long des rivières, tout comme le ptérodactyle. Sauf que les témoins appellent cette créature la Llorona, ou la Pleureuse. Serge se renseigne alors sur cette figure mythologique : on dit de la Llorona qu’elle est le fantôme d’une femme indigène trahie par un espagnol, qui erre le long des rives à la recherche de ses enfants noyés. On dit qu’elle est apparue lors de la colonisation du Mexique par les Espagnols parce que tous les rituels indigènes étaient interdits, notamment les cérémonies funéraires. Or on dit aussi que lorsqu’ils sont privés de rituels, les morts réapparaissent dans les sociétés sous forme de fantômes...
Il se trouve qu’après plus de quarante ans de recherche acharnée, Serge Lewuillon est décédé en pleine crise sanitaire, alors que les cérémonies funéraires étaient impossibles. Il a lui aussi été privé de rituel. Que reste-t-il de sa quête inachevée ?
Erre-t-il lui aussi le long des rives à la recherche d’un reptile envolé ? Voire d’une pleureuse elle-même condamnée à errer à la recherche de ses enfants noyés ? Cette soudaine mise en abyme nous a touchées. Victoria Lewuillon, membre du Collectif Le Comité, est la nièce de ce chercheur. En mars 2020, nous héritons ainsi de tous ses écrits, dont un manuscrit qui retrace l’évolution de sa recherche. Il l’a intitulée «Poursuivez les chimères...» Comme ça, à l’impératif. Vinciane Despret, philosophe s’intéressant aux rapports qu’entretiennent les vivants et les morts, parle de la grande créativité dont font preuve les morts pour mettre en mouvement les vivants. Et c’est vrai que cet impératif sonne comme une invitation à poursuivre à notre tour ces chimères et à mener notre enquête.